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TVA sur la marge et terrains à bâtir : en attendant la suite…

Rép Min Grau, JOAN 1er février 2022 n°42486.

A la suite de l’arrêt de la CJUE Icade Promotion(1) précisant le champ d’application de la TVA sur la marge, une question a été posée au gouvernement au sujet de la portée de cet arrêt pour les opérations à venir et les opérations en cours.

Plus précisément, il était demandé si les commentaires administratifs publiés le 13 mai 2020 sous les références BOI-TVA-IMM-10-20-10, suite à l’arrêt du Conseil d’Etat SARL Promialp(2) sont opposables à l’administration fiscale et, dans l’affirmative, s’ils le seraient également aux actes signés après la publication de nouveaux commentaires dès lors que l’avant-contrat a été signé antérieurement à cette publication.

Pour rappel, dans son arrêt du 30 septembre 2021, la CJUE avait apporté des précisions relatives aux deux conditions exigées pour que la TVA sur la marge s’applique à savoir, une acquisition qui n’a pas ouvert droit à déduction et une identité juridique entre le bien acquis et revendu :

– Quant au fait que l’identité entre le bien acquis et le bien cédé se limite à sa qualification juridique ;

Le régime de la marge est exclu pour les livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir.

Au contraire, le fait que des terrains aient fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques physiques telles qu’une division en lots ou la réalisation de travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l’instar, notamment, des réseaux de gaz ou d’électricité, n’exclut pas le régime de la marge.

Partant, dès lors qu’un terrain nu est considéré comme un terrain à bâtir selon la législation nationale de l’État membre concerné, les transformations apportées à ce terrain aux fins de son aménagement, qui reste ainsi destiné à être bâti, sont sans incidence sur sa qualification de « terrain à bâtir » tant que ces aménagements ne peuvent être qualifiés de « bâtiments ».

L’administration fiscale, pour sa part, avait abandonné l’exigence d’une identité physique pour ne retenir qu’une identité juridique(3). Mais cette précision n’avait pas été reprise dans la mise à jour du Bofip le 13 mai 2020 et n’était pas précisé ce qu’elle entendait par une « identité juridique ».

Seule avait été reprise l’hypothèse tranchée par le Conseil d’Etat(4) de la cession d’un terrain à bâtir qui, lors de son acquisition, avait le caractère d’un terrain bâti dès lors que le bâtiment édifié a fait l’objet d’une démolition(5).

– Quant au fait que l’acquisition du bien cédé ne doit pas avoir ouvert droit à déduction pour le cédant :

Pour la CJUE, les seules acquisitions considérées comme n’ayant pas ouvert droit à déduction sont :

Les livraisons de terrains lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA, sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe,

Les livraisons de terrains lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la TVA alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.

A l’inverse, toujours selon la CJUE, ne sont pas considérées comme n’ayant pas ouvert droit à déduction pour l’application du régime de la marge, les opérations de livraisons de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à la TVA, soit qu’elle se trouve en dehors de son champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée. Dans cette hypothèse l’application de la TVA sur la marge serait donc exclue.

C’est notamment sur ce point que les divergences avec la doctrine administrative apparaissent et que la question au gouvernement a été posée.

En effet, l’administration considère que ; « par hypothèse, n’a pas ouvert droit à déduction au sens de l’article 268 du CGI, (et donc la TVA sur marge s’applique) une acquisition d’immeuble réalisée auprès de personnes non assujetties ou auprès de personnes assujetties qui n’ont pas agi en tant que telles, ou encore dont la livraison était exonérée de TVA sur le fondement du 5 de l’article 261 du CGI et qui n’ont pas formulé l’option prévue au 5° bis de l’article 260 du CGI »(6)

Cet arrêt ayant suscité incertitude et parfois incompréhension, l’administration précise, dans cette réponse ministérielle, qu’elle tirera les conséquences au niveau national de cet arrêt. Elle se veut également rassurante en ajoutant que « aussi longtemps que cette mise à jour n’est pas intervenue, les assujettis revendeurs bénéficient pleinement de la garantie prévue par les dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales (LPF). Cette garantie permet au contribuable de bonne foi de se prévaloir de l’interprétation faite par l’administration d’un texte, même contraire au droit de l’Union tel que précisé par la jurisprudence de la CJUE ».

Quant aux opérations en cours à la date de publication et pour des reventes intervenant postérieurement aux futurs commentaires administratifs tirant les conséquences de la jurisprudence de la CJUE, il est précisé que « l’assujetti revendeur pourra continuer à se prévaloir de l’actuelle doctrine fiscale si son acquisition du bien considéré est intervenue ou a fait l’objet d’un compromis de vente antérieurement à cette publication ».

On attendra donc avec intérêt la clôture par le juge national du contentieux Icade Promotion, les prochains commentaires administratifs sur le sujet, ainsi que la réponse de la CJUE notamment à la question préjudicielle qui lui a été posée par la Cour administrative d’appel de Lyon(7).

 

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[1] CJUE 30 septembre 2021, C-299/20, « Icade Promotion ».

2 CE 27 mars 2020, n°428234, “SARL Promialp”.

3 Rep Min. Vogel JO Sénat 17 mai 2018, n°04171.

4 CE 27 mars 2020, n° 428234.

5 Sur ce point, l’administration dans sa doctrine considère que « Il n’y a lieu de rechercher le régime de l’acquisition aux fins de déterminer la base d’imposition que pour les seules livraisons d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification, c’est-à-dire respectivement : de terrains à bâtir qui ont été acquis précédemment comme terrains n’ayant pas le caractère d’immeubles bâtis. Le régime de la TVA sur la marge prévu par l’article 268 du CGI s’applique aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’applique pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur (CE, décision du 27 mars 2020, n° 428234) » ; BOI-TVA-IMM-10-20-10, n°20.

6 BOI-TVA-IMM-10-20-10, n°30.

7 CAA Lyon 18 mars 2021, n°19LY00501.