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Exit l’EIRL, place au nouveau statut de l’entrepreneur individuel !

 

Depuis plusieurs années, le législateur a souhaité encourager la création d’entreprise en limitant les risques inhérents à l’activité professionnelle. A cette fin, le mécanisme de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (ci-après « EIRL ») avait été créé par la loi n°2010-658 du 15 juin 2010.

Pour rappel, l’EIRL permet aux personnes physiques exerçant une activité économique individuelle, qu’elle soit commerciale, artisanale, libérale, agricole, y compris les micro-entrepreneurs, d’affecter un patrimoine à leur activité professionnelle, en permettant la séparation du patrimoine personnel du patrimoine professionnel de l’entrepreneur.

Le dispositif de l’EIRL, n’ayant guère connu de succès, a été modifié à plusieurs reprises. Le régime était complexe, la déclaration d’affectation imposant un formalisme lourd et peu lisible, ce qui a conduit la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (publiée au journal officiel le 15 février 2022), à supprimer le statut de l’EIRL au profit d’un nouveau statut unique d’entrepreneur individuel venant séparer de plein droit les patrimoines personnel et professionnel de l’exploitant individuel.

 

Un cadre théoriquement plus protecteur et plus simple pour les entrepreneurs individuels

L’instauration de ce nouveau statut au sein du Code de commerce vise à apporter davantage de simplicité et de protection pour les entrepreneurs individuels. Il est prévu que toute personne physique exerçant « en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes » se trouve titulaire d’un patrimoine professionnel distinct de son patrimoine personnel. L’ensemble du patrimoine personnel deviendra, par défaut, insaisissable par les créanciers professionnels, à moins que l’entrepreneur indépendant en décide autrement.

Quant au patrimoine professionnel, constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont le professionnel est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes, il ne bénéficiera d’aucune protection et pourra être saisi par les créanciers professionnels. Ainsi, seuls les éléments du patrimoine utiles constitueront le patrimoine professionnel et l’assiette saisissable par les créanciers professionnels. L’entrepreneur individuel ne sera tenu que sur son seul patrimoine professionnel à l’égard des créanciers dont les droits seront nés à l’occasion de son exercice professionnel.

Les biens mixtes, c’est-à-dire à usage personnel et professionnel de l’entrepreneur ne devraient pas, non plus, échapper au droit de gage des créanciers professionnels sous réserve qu’ils soient qualifiés d’utiles à l’activité.

Ce nouveau statut unique, remettant en cause la célèbre théorie de l’universalité du patrimoine développée par Aubry et Rau, permettra à l’entrepreneur de protéger son patrimoine personnel, comme cela est le cas, par exemple, dans une société à responsabilité limitée ou une société par actions. Reste à voir si les créanciers professionnels se contenteront d’une assiette réduite de leur droit de gage ou s’ils solliciteront la prise de garantie(s) supplémentaire(s) par l’entrepreneur individuel en vue d’assurer le règlement de leurs créances professionnelles.

La renonciation spéciale

Au surplus des développements qui précèdent, la protection offerte par ce nouveau statut semble relative puisqu’il apparaît, à la lecture du nouvel article L.526-25 du code de commerce, qu’un créancier professionnel pourra également obtenir de l’entrepreneur individuel qu’il renonce à la séparation automatique de ses deux patrimoines. Certes, cette renonciation constitue une exception au nouveau principe de séparation et est soumise à un certain formalisme mais fort est à parier que certains créanciers n’hésiteront pas à y recourir. En revanche, le nouveau régime ne permet pas à l’entrepreneur de se porter caution sur l’un de ses patrimoines d’une dette née à l’occasion de son autre patrimoine.

Une exception en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées des obligations fiscales ou sociales

En cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées des obligations fiscales ou sociales par l’entrepreneur, les créanciers fiscaux et sociaux pourront agir sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel.

L’option à l’impôt sur les sociétés (IS)

Le statut unique d’entrepreneur individuel offrira également la possibilité aux entrepreneurs, personnes physiques, d’opter, s’ils le souhaitent, pour un assujettissement à l’impôt sur les sociétés, par dérogation au droit commun.

Le transfert universel du patrimoine professionnel

A l’occasion des discussions sur le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, le Gouvernement a manifesté son souhait de faciliter le passage de l’entreprise individuelle en société, tout en veillant aux intérêts des créanciers. De ce fait, si un entrepreneur souhaite faire évoluer son activité ou envisage de la céder, ce dernier pourra passer du statut d’entreprise individuelle à celui d’une société, par la transmission totale, en une seule opération, de l’ensemble du patrimoine professionnel, par l’utilisation d’une faculté de transfert universel via apport, cession ou transmission à titre gratuit.

Dans ce cadre, la loi rend notamment inapplicable toutes formalités relatives à la transmission de fonds de commerce. En revanche et à peine de nullité, le transfert, devant faire l’objet d’une publicité spécifique selon des conditions qui seront fixées par décret, devra porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel. De plus, en cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel devra permettre de faire face au passif exigible de ce même patrimoine.

Le transfert universel de patrimoine professionnel, à titre onéreux ou gratuit, aura alors pour effet de réaliser un transfert des droits, biens, obligations et sûretés le constituant. Toutefois, les créanciers professionnels antérieurs pourraient former opposition, sans toutefois pouvoir remettre en cause l’opération de transfert.

Par ailleurs, la cession, la transmission ou l’apport, à titre onéreux ou gratuit, portant sur seulement certains éléments du patrimoine professionnel demeurerait possible et resterait soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés.

 

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L’extinction progressive du statut de l’EIRL va permettre une séparation de plein droit (sans déclaration préalable ou formalité quelconque) des patrimoines personnel et professionnel de l’ensemble des entrepreneurs individuels.

Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel s’appliquera, aux créations d’entreprises nouvelles, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du 14 février 2022, date de promulgation de la loi, soit à partir du 15 mai 2022.

Pour les entreprises créées avant cette date, la protection ne concernera que les nouvelles créances.

En effet, les créances nées après l’entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022 sont soumises aux nouvelles dispositions organisant la séparation des patrimoines privé et professionnel de l’entrepreneur individuel.

Par ailleurs, il conviendra d’examiner plus en détail le décret d’application pour l’entrée en vigueur effective de ce nouveau statut, afin d’éclaircir certaines zones d’ombres et en cerner précisément le contour ainsi que les opportunités juridiques, fiscales, sociales et/ou patrimoniales pour les professionnels exerçant sous le statut d’entrepreneur individuel.